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Chroniques
création d’Ardendo de Jacques Lenot
Trios pour baryton, alto et violoncelle Hob.XI d’Haydn
Notre approche de l’édition 2014 du Printemps des arts de Monte-Carlo, qui fête son trentième anniversaire, se poursuit par un deuxième portrait de Joseph Haydn, croqué par l’Ensemble L’Amoroso. Nous abordons une partie plutôt méconnue du catalogue d’Haydn, puisqu’il s’agit des cent vingt-trois trios pour baryton, alto et violoncelle qu’il écrivit entre 1765 et 1775 pour le plaisir du Prince Nicolas Esterházy de Galántha dont il fut le musicien de cour. Loin de composer lui-même, comme le fit son aïeul le comte Paul, Nicolas nourrissait une véritable passion pour cet instrument désormais tombé dans l’oubli, le baryton à cordes, surgi à la fin du XVIe siècle. Viole « de bourdon » ou « de pardon », les spécialistes ne tranchent pas… Toujours est-il qu’il offre la riche particularité de posséder un manche de sept cordes en boyau que l’on sonne de l’archet et, à l’arrière, un certain nombre de cordes sympathiques, métalliques celles-ci, que le violiste pince du pouce gauche. Outre qu’il se suffit à lui-même, puisque cet « effet de manche » l’accompagne en faisant l’économie d’un partenaire, le baryton offre encore des possibilités nouvelles au sein du trio, dans la lignée des consorts de violes à l’anglaise.
Ainsi ceux qui, dans le double écrin de Charles Garnier, hésitaient entre improbables walkyries ou très certain bandit manchot rencontreront-ils assurément la surprise (non, pas Hob.I : 94…) avec cette soirée d’un festival qui n’en manque pas, qu’il s’agisse de La cigarette préludant le fort beau concert du Quatuor Parker [lire notre chronique de la veille] ou de l’événement Momente de Stockhausen [lire notre chronique de l’avant-veille]. Outre cinq des rares trios haydniens, la minute du poète Charles Pennequin en amorce de seconde partie, cinq rounds d’un set baroque improvisant tarentelles et chaconnes (folias) juste avant l’entracte (Ensemble Kapsberger), ils entendront pour commencer un solo de violon signé Jacques Lenot, et quand on sait que ledit Lenot n’écrit jamais pour cet instrument – dit-il, mais entre 1998 et 2013 il donnait naissance à quelques sept quatuors à cordes, tout de même… surprise, donc.
Dans Ardendo, le vigoureux archet de Constance Ronzatti semble tourner autour d’un motif sans le dire jamais. Elle dialogue avec un écho très doux, dangereusement doux, peut-être, qui bientôt s’affirme par-devers sa discrétion faussement subalterne, paradoxalement. On chante haut, de plus en plus haut, sciottant le non-dit d’une série absente mais fermement effective. Ainsi le principal est-il tu, secret jalousement gardé fomentant ce lyrisme prégnant de l’ultime chaudrée, geste munificent d’un final « et vlan ! ». « Ardere : pour César, il s’agit d’être possédé d’un grand désir ; pour Cicéron, être en feu ou être consumé par le feu. Horace brûle d’amour et Virgile parle d’étinceler, briller, flamboyer ou encore resplendir », précise Jacques Lenot – sibylline notice en dionée dont la clé reste au coffre. De l’oreille la ganache ne desserre pas ces trois minutes proprement fascinantes.
Haydn, donc. C’est d’abord par la carence d’aigus que l’Adagio du Trio en la majeur Hob.XI : 66 déroute l’écoute. L’esgourde contemporaine y goûte une couleur inédite. À l’aimable trio Hob.XI : 101, conclu par une fugue à trois sujets, succède le solaire Hob.XI : 70 dont l’introït Scherzando convoque ces cordes pincées plus haut évoquées ; dissimulées à la vue, elles inventent une épinette venue d’un ailleurs troublant. Cette ombre de virginal tisse l’Adagio du Trio en ré majeur Hob.XI : 113, opus qui clôt la soirée. Par-delà ces effets passionnants, l’interprétation du Trio en si mineur Hob.XI : 96 marque cette seconde partie de concert : d’une tendresse indicible, l’inflexion du Largo saisit, de même que la mélancolique tonicité de l’Allegro central quand, quasi funèbre dans sa touffeur triste, le Menuet final bouleverse.
BB